Alexandre Castant

Aris Georgiou, photographies, textes

Monographie

« Contrat d’une image de la séparation » in Aris Georgiou, Huit photographies, huit textes,
avec des textes de Jean Arrouye, Christos Apostolakeas, Élisabeth Foch, Éric Auzoux, Dimitris Dimitriadis, Xenophon Komninos, Alexandra Deliyioryi et A. C., Éditions EnTOMO, traduction de Jean-Marie Verlet et Xenophon Komninos, Thessalonique, 1993.

Comment une photographie peut-elle à ce point, en effet, ressembler à une image de cinéma : à l’arrêt sur images d’un film ? Pourtant, les images d’un film en suspens ne laissent jamais croire qu’elles sont extraites du réel. Il y a, dans l’arrêt sur images, dans son principe, quelque chose auquel on ne croit pas. Comme si, sur l’écran devenu cadre, s’inscrivait en surimpression :
« le photogramme n’est pas la représentation du réel, mais la représentation du réel représenté par des images, il n’est que l’élément de l’artifice d’un film, une reconstitution à lui seul de cet artifice, son code et sa carte génétique en quelque sorte : son histoire rend des comptes à l’histoire des images, son temps met en perspective le temps des autres films, le photogramme est en réalité désolidaire du réel : à travers quoi, l’arrêt sur images donne à voir cette séparation des choses étanches dont il est la représentation ». Cette photographie d’Aris Georgiou ressemble à une image de film arrêté. Pourtant, par son genre et à sa référence à une photographie documentaire, d’auteur ou humaniste, elle est directement liée au réel : prise au vol, fugitivement, saisie d’un instant sur et dans l’instant : pourtant, c’est une séparation, comme dans un film dès lors que l’image est stoppée. Comment cette photographie s’est-elle ainsi détachée du réel ? D’où vient cette séparation ? Il y a, ici, entre le regard et l’image, une paroi étanche constituant la photographie comme autre chose qu’un enregistrement. Plutôt : sa réorganisation, une suite du réel sans lui. Il y a, ici, quelque chose qui recommence instituant cette image d’Aris Georgiou moins comme une ponction que comme une compression du réel. Jusqu’à ne plus être en phase avec lui : sa désamorce et sa continuité au-delà. Dans le flux des images, leur histoire. Ce n’est pas comme ça dans la vie : ces deux hommes en noir, en manteau noir et costume de ville qui partent dos à dos ; l’un plus jeune, plus grand, voûté, l’autre : serein, concentré aussi : que se sont-ils dit ? Et leur pas, c’est leur pas qui découpe l’image : celui du plus grand colle ou adhère au sol, formant un triangle avec le sol ; quant au pas de l’autre il dessine un triangle, également, mais d’angle plus réduit, et comme inachevé. Ces hommes, de profil bien-sûr, qui sortent du cadre de l’image, on est ainsi tenu d’opposer leur pas ! Sur un plan horizontal : des forces centrifuges. Mais, verticalement, la confrontation fonctionne également. La mer au troisième plan, au premier de l’eau, un banc de sable entre. Et les ondulations de la mer au loin, et les ondulations de leurs silhouettes qui se reflètent dans l’eau. L’impression inversée. L’image qui se trouble. L’image coupée. Symétrie des axes verticaux, horizontaux.
Alors qu’au centre de cette construction à laquelle on ne croit pas : il n’y a rien. Tout est séparé. Que faisaient-ils ces personnages pour s’écrire ainsi dans un lieu ? Pour organiser ainsi l’espace ? Au bord de l’eau, sur la jetée, le sable ? À l’insu de cette histoire qui n’en est pas une, il faudrait reconstituer une histoire à laquelle on ne croit pas. Quel est le contrat que ces personnages ont passé entre eux ? (Ces personnages ? L’image sort d’elle-même : fiction ?). Entre eux où il n’y a rien : sauf la perfection des lignes horizontales, verticales : et l’inverse si l’on retourne cette photographie. (Car celle-ci invite à être manipulée : avec ces lignes interchangeables il faudrait la multiplier, la démultiplier, la reproduire en x exemplaires, afin de visualiser dans sa reproduction, sa multiplication, sa démultiplication ses combinatoires formelles). Que serait alors l’énigme du contrat que ces personnages ont passé entre eux ? La graphie de cette image. Où tout du réel se tient détaché du réel.
Nous rappelant à sa façon que, dans toute photographie, il y a une pièce qui manque dont la fonction, précisément, c’est d’être absente.

A. C.

Site de consultation :
Fonds d’Archives de la critique d’art :
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