Alexandre Castant

Cécile Le Talec, L’Invisible & le sonore

Préface

« Limites invisibles et sonores de l’image » in Cécile Le Talec : Sculptures sonores, installations et conversations… [Livret du CD], Publication de la Galerie Édouard Manet, Gennevilliers, 2000.

Cécile Le Talec explore des espaces intermédiaires, le visible et l’invisible, le sonore et son silence, le mouvement et la disparition du geste, et, pour cela, l’artiste inscrit son œuvre dans une absence constituée, une parenthèse, un suspens. Ainsi, en 1997, Couloir acoustique, produit d’une collaboration avec un groupe de physiciens, met en scène le vide comme un élément structurant que le spectateur traverse. Cette sculpture expose la déchirure sonore où elle-même se développe.
Espace de circulation, procédant de la poudre d’argile dont sa structure est enduite, et de la matière du son, Couloir acoustique représente une étape, décisive, dans cette œuvre du passage et de l’impermanence des formes.
Un fragment du ciel est représenté dans du plâtre, comme une matière dispersée qui, soudain, se recompose dans un cadre (Ciels, 1992), de la laque flotte à la surface d’une eau bleue (Pièces d’eau, 1992), des photographies de nappes d’essence s’étalent comme autant de visions fixées de l’infini en mouvement (Essences, 1992), l’œuvre de Cécile Le Talec saisit, d’emblée, la matière, dans sa mobilité supposée, sa fluidité, elle se l’approprie, préférant les espaces hybrides, métonymies d’un monde liquide ou aérien, aux matières solides et figées. En 1992, Toile de sel, monochrome blanc qu’un tube fluo circulaire intensifie, gêne le regard. Voir cette œuvre les yeux fermés reste l’issue, qui conduit à rendre à l’image son absence pour qu’elle advienne… C’est en un lieu informulable que l’envers et l’endroit se réunissent.
Avec la fin de la décennie 1990, la production de formes moins génériques suit la création de ce miroir du vide, du visible et du son, qu’est Couloir acoustique. En 1998, par exemple, l’installation des Voisins du dessus projette sur un plan un habitat, dessin d’architecte dont les limites ne sont plus les cloisons murales mais les valeurs sonores qui, sous le lino gris constituant la surface de ce plan dessiné, font passer d’une pièce à l’autre. Le son propose donc une expérience subtile de l’espace, du volume, il induit une mobilité, virtuelle et pourtant concrète, fait naviguer entre l’intime et le public, sans obstacles.
Que Cécile Le Talec se consacre, à de nombreuses reprises, à ce que Victor Segalen appelait
« le monde sonore » poursuit en filigranes ses interrogations sur la matière et sa fluidité, sur l’infini qu’ouvrait déjà le monochrome blanc et aveuglant du sel.
Aujourd’hui, cette œuvre de l’immatérialité physique intime la contemporanéité : ce qui attend sera transparent. Les éléments de Conférence sur le silence, moins poésie sonore que poésie du son, et la fabrique de l’image des Combinatoires débordent le visible à travers le son et ses constructions mentales. Conférence sur le silence, œuvre sonore constituée de cinq pièces pour un jardin, est un jeu sur la langue et les mots appréhendés comme une absence qui habitent la voix. Le vide comme objet de la langue qu’il construit est au cœur de ce travail, éminemment plastique et poétique, où les voix se superposent, dédoublées comme l’image le sera dans Combinatoires, tandis qu’un filament sonore, presque scintillant, les accompagne parfois en arrière-fond. Des personnages se cherchent avec, pour seuls repères, leur mot, leur souffle, leur silence : « On pourrait presque se figurer un bruit blanc, lent très lent, comme une image au ralenti, remarque l’un d’eux ». Si Conférence sur le silence expérimente le médium sonore et les fictions qu’il compose dans le vide, Les Combinatoires y associent une variation sur l’image, sa fabrique. Un film vidéo présente cinq personnages vus de dos, modèles ou techniciens (cinq, encore, symbole de l’univers et des sens), qui, en combinaisons de travail monochromes (blanc, gris, bleu, rouge, jaune) se déplacent et fabriquent l’image ; ils l’installent, la préparent, l’organisent. Or, l’image vidéo est difficilement lisible et la projection comme l’écoute sont des phénomènes impalpables. Seule une approche de cette installation en tant que construction mentale en rend la complétude saisissable.
Ces personnages, vus de dos, fabriquent un film, devant nous, et, même dans ses marges, ses coulisses, son envers, ce film dévoile ses procédures cinématographiques. Pourrait-on, comme ces personnages peut-être, voir et filmer ainsi de dos ?

A. C.

Site de consultation :
Bibliothèque de la Maison Européenne de la Photographie, Paris.