Alexandre Castant

Robert Christien, Méthode de la banalité

Catalogue

« Robert Christien : Méthode de la banalité » in L’Art dans les chapelles, art contemporain et patrimoine religieux, L’Art dans les chapelles Éditeur, Pontivy, 2006.

Face à Rorschach, mon amour, œuvres récentes de Robert Christien, devant ces grands formats dont le gris mat demeure aussi déceptif qu’il inquiète, une figure du merveilleux se tend, mais un merveilleux en creux, qui serait comme désenclavé de sa part lyrique, et produirait un enchantement ambigu, presque gênant, mais vif.
Car il y a d’abord sa méthode : en détourant des disques, des surfaces rondes et métalliques, l’artiste dessine une ligne serpentine qu’il reproduit suivant une symétrie, avant de la découper avec une lame. Cette technique (élémentaire presque enfantine), si elle évoque ces nombreuses peintures de Robert Christien où des papiers découpés servent, c’est selon, de frise, d’ourlet, de ligne d’horizon, elle fait également référence à une esthétique du banal. En effet, outre le matériau industriel par excellence (du PVC), ces découpages sont autant de moments dé-héroïcisés (dans d’autres pièces de l’artiste, ils ont été produits au coupe-ongle ou avec des ciseaux de manucure) qui, au pied de la lettre, contournent et minent l’histoire d’une peinture flamboyante. Car Robert Christien est peintre avant tout : et son œuvre se laisse souvent observer comme une réflexion très personnelle, critique, malicieuse et fragile sur ce médium. Dès lors, la matité de cette série, paradoxalement aussi intense que sa surface est étrangement lisse, sa « matière » donc
(terme « plastique » que le PVC comme la peinture ont en commun), en tournant le dos à la question trop ressassée de la découverte ou de l’invention en art, en regarde une autre, tellement plus actuelle, celle de l’expérimentation. Peintre, Robert Christien l’est constamment, et son œuvre se lit comme un traité poétique où se concurrencent banal et contemplation (mais n’est-ce pas une métaphore de la peinture ?). Aussi, ses toiles mettent moins en crise et en jeu le désir en peinture que celui de peindre.
En effet, ce geste, celui du découpage, ne renvoie-t-il pas à celui du peintre ? au temps différé qu’il implique entre l’œil et la main ou l’inverse ? Et la symétrie, n’est-ce pas le rapport classique entre face et profil que travaillent, finalement, ces papiers découpés ? et encore ce pli, qui instruit la démarche, n’est-il pas une réflexion toute faite de l’endroit et de l’envers que contient la ligne ? Enfin, au centre de la chapelle Saint-Nicodème, Robert Christien devrait exposer une œuvre au sol sur laquelle, assurément, l’on ne marchera pas et cet interdit du toucher (en peinture) va se répercuter mentalement — être projeté — sur les autres pièces de la série Rorschach, mon amour présentées au mur comme des taches ou des trouées… Ne plus représenter ? Figurer pourtant… Car ces œuvres apparaissent aussi comme des cyprès monochromes ou des peaux desséchées de bêtes féeriques… L’émerveillement encore, un imaginaire de mystère et de banalité, mais si étrange… Entre quotidien et contemplation, Robert Christien appelle ses bandes de papiers, leurs lignes flexueuses, ces espaces qui modifient le pli qui les révèle, ses découpes : « Mes épluchures de l’ombre ».

A. C.

Créé par le médecin psychiatre zurichois Hermann Rorschach (1884-1922), le test de la personnalité qui porte son nom — et avec lequel Robert Christien nomme cette série — inscrit, au cœur de son expérience, le potentiel créatif de l’humanité.

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