Alexandre Castant

Les images et la nuit (2019)

Contribution libre à la lecture de l’argument de Sophie Nauleau, pour les vingt ans du Printemps des poètes dont elle est la directrice et qui a pour thème « La Beauté », et, plus précisément encore, à la découverte de l’affiche de cette édition réalisée par Enki Bilal, dont La Femme piège, en 1986, me fascina littéralement.
L’écriture de ce poème,
Les images et la nuit, est donc inspirée tout à la fois de ce thème, de cette vision de Bilal et du séjour à Cracovie où il fut écrit. En outre, la Revue de la poésie in toto devait, en février 2022, le publiait dans son n°3.

 

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Les images et la nuit

Les yeux d’or cernés violets
Partir aérien clôture
Bruits des arbres, cristaux qui se brisent
La malle en cuir et ses fantômes

Il était un champ de blé
Du sang vif qui coulait
Montage collage reprise
Des mains de cire en peinture

La peau diaphane de l’envol
Lèvres rouges après la nuit
J’entends des voix que je ne connais pas
L’indicible

La ronde en peinture
Ils dansaient en la suppliant
Car elle était un paysage, une prairie, l’orage
Nous étions la pluie d’été

Lumière noire qui se lève sur l’horizon
La brume et ses formes errantes
Elles s’accrochaient au cou de leurs chevaux
L’extase en contre-plongée

Nous sommes à l’entrée de la ville aux pierres rouges
Nous l’envahissons
Devant la beauté, ses tableaux, des ors, les bas-reliefs
Nous aurions dû disparaître

Au pied de ces blasons dans la rue étroite
Dans ce passage d’un autre temps où je vois nos mortes
Il y avait cet inconnu, perdu, seul au matin
À qui s’adresse-t-il en pleurant ?

L’eau de la rivière avait été si claire
Ses reflets si bien peints
Les vallons avaient tant brillé
Quand le vent, apaisé, s’était levé

Elles avaient été conduites
Serrées, les unes contre les autres
Au point d’où l’on part à jamais
Leur chevelure transformée en animal de feu

Apparaît une maison italienne
Des silhouettes se découpent sur un échiquier
Du sol de sa terrasse
Les arbres y jettent leur ombre, immémoriale

Un garçon marche, seul, dans la forêt
Il traverse une clairière
À perte de vue les champs, mauves, rayons, colza
Fourrure de lumière

Nous avions tant aimé ce temps lointain
Il nous atteint puis disparaît
Étoffes rutilantes du deuil
Vase aux bouquets de fleurs sèches, écume, suppliques

Immobiles, dévastés dans le silence enragé
La lumière en sculptait le relief doré
Les fruits sont bleus
Que disions-nous sous des éclairs géométriques ?
Les corps de jade, la couleur et la mort
Nous sommes votre légende
Elles disaient, répétaient
Nous sommes celle des images et de la nuit.

                                                                  A. C., Cracovie, 2019