Alexandre Castant

Marie-Jo Lafontaine, 2012

Préface

« L’Heureuse mélancolie des fleurs à venir, images, fictions » in Marie-Jo Lafontaine, Alice in Wonderland, avec des écrits de François Delvoye et Françoise Wilhelmi de Toldeo, Villa Larix, Überlingen, 2012.

Exploration des combinatoires du récit, utopie de la photographie, mélancolie de la couleur… Dans Alice in Wonderland, série de quatorze diptyques constitués de portraits et de motifs floraux, et augmentés de quatre photographies de fleurs, Marie-Jo Lafontaine met à jour les figures de l’énigme de l’image photographique qui, méthodiquement, dessinent les contours d’un traité philosophique et esthétique en devenir.

Histoire(s) du Temps
À l’instar de leur titre d’emblée littéraire, les photographies d’Alice in Wonderland sont d’abord fécondées par l’idée de récit, possible, court-circuité, inachevé. Et, pour cela, certaines stratégies narratives, qui donnent du temps à la fixité de l’image, ont été activées. La première repose sur la juxtaposition, bord contre bord, de deux images : sur l’une, en noir et blanc, une jeune fille est photographiée les yeux fermés (seule l’une d’entre elles échappe à la règle et a les yeux grand ouverts), sur l’autre image, apparaît un plan serré sur une fleur incandescente, comme en relief et en suspens : son chromatisme est fascinant. Cette amorce de récit, de fiction, est ainsi mise en œuvre par un raccord de type montage — image contre image — et l’effet perceptif, imaginaire, qu’il produit chez le spectateur… Entre ces deux photographies, une troisième image apparaît donc, virtuelle et à inventer, différente pour chaque spectateur. En tout état de cause, une fiction a commencé… La seconde stratégie narrative est historique. En effet, Alice in Wonderland est une série constituée à partir d’œuvres préexistantes, Alice in Wonderland (2008) et Savoir retenir et fixer ce qui est sublime (1988) dont certaines photographies avaient été déjà montrées à la galerie Montaigne à Paris, en 1990. Dès lors, l’idée de récit ne serait que le résultat, la conséquence des possibles, de ces images réassociées sur le mode des combinatoires… À travers ce dernier principe (où les figures narratives apparaissent comme internes à l’histoire de l’œuvre de Marie-Jo Lafontaine), et par le biais du raccord-cinéma, qui fait donc opérer un effet de fiction au sein des diptyques, un temps élargi, augmenté, est bel et bien donné à ces images.

[…]

A. C.

L’ensemble de ce texte a été repris, dans une version sensiblement différente, dans l’essai Écrans de neige, photographies, textes, images (1992-2014), Éditions Filigranes, Hors collection, Trézélan, 2014, pp. 99-100.

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