Préface
« Des sculptures photographiques (Ce qu’il me reste de vous) » in Marios Fournaris :
Perama je me souviens (avec des textes de Barbara Polla et Jean-Philippe Rossignol) – Genève :
Faber – BSN Press, 2025
Des sculptures photographiques
(Ce qu’il me reste de vous)
Précédées d’un texte du photographe décrivant leur dimension élégiaque (Perama ou la nécessité), les images de Marios Fournaris sont innervées de figures minimales et abstraites, de surfaces chromatiques. Elles transportent et véhiculent l’esthétique d’un paysage grec, mythologique, pastoral ou industriel qui révèle, dans les cendres de la lumière contemplative du monde, leur biographie fictive, leur recherche plasticienne, un autoportrait documentaire.
Marios Fournaris est né à Perama. Et cette donnée autobiographique est évidemment essentielle. Au fil d’un retour dans le passé, l’image photographique trouve, dans la mémoire en fragments de Perama je me souviens, sa substance poétique. Or, dispositif trop souvent oublié, la photographie, dès son invention ou quasiment avec L’Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard en 1840,
a entretenu des correspondances aiguës et subtiles avec l’écriture ou le texte, puis la littérature et la poésie. Telle association, d’un enregistrement iconique accompagné de mots, s’avise particulièrement de cette relation, esthétique, dans Perama je me souviens. Non seulement des écrivains (Barbara Polla, Jean-Philippe Rossignol) y rencontrent l’œuvre d’un photographe, mais le photographe lui-même légende ses images : une ligne de porosité se dessine entre le document photographique de la réalité et la perception, textuelle et imaginaire, qui l’éclaire et parfois le détourne.
Documentaires, les visions photographiques de Marios Fournaris composent avec des prélèvements de détails, formels, saisis dans Perama, banlieue déshéritée d’Athènes et port de ferries vers Salamine et les îles saroniques. Métamorphosée au fil des décennies (port des migrants dans les années 1920), Perama dévoile aujourd’hui un paysage industriel et commercial. Le photographe irrigue ainsi ses images d’une esthétique du quotidien, du banal, de l’anodin qui conduit parfois leur minimalisme au seuil de l’imaginaire. Photographe, Marios Fournaris est aussi plasticien et, à certains égards, sculpteur dans ses images. Les objets représentés, isolés dans l’espace de ses photographies, trouvent en effet, grâce à un motif figuré sur un fond (le ciel ou la mer, un mur ou le sol), une géométrie inédite, une poétique visuelle les appréhendant comme un volume. Or, la tension entre ce fond considéré comme un aplat et ces objets (grue, bateau, prise électrique ou porte, jouet), figurés comme bloqués, fixés dans l’image dont ils semblent se détacher, constituent le relief de ces sculptures photographiques. En outre, ces fragments chromatiques sont toujours chargés d’une portée politique ou sociale (traces de la religion, d’un économie industrielle, de l’exil des migrants ou de la paupérisation du monde) dont les légendes de Marios Fournaris orientent, nuancent et parfois allègent la dramaturgie du sens.
Littéraire s’il en est, l’inventaire de la mémoire des photographies de Marios Fournaris nous renvoie-t-il à une histoire telle que nous pourrions l’imaginer ? Je me souviens, le texte d’ouverture de Barbara Polla, inscrivait déjà, dans une dérive imaginaire, autobiographique ou documentaire, ce croisement des genres, littéraires et photographiques. En un inventaire perecquien, cette autofiction s’achève sur des temps –présent, passé et futur – qui, après avoir fusionné dans une même temporalité, semblent évoquer Hiroshima mon amour de Marguerite Duras. La scansion, la rythmique, la prosodie de Je me souviens serait-elle celle de Nevers ? Les photographies de Marios Fournaris invitent à approcher Perama avec la voix-off des souvenirs.
Alexandre Castant
Site des éditions BSN Press :
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