Alexandre Castant

Réfléchir le monde

Préface

« Réfléchir le monde » in Anne-Laure Chamboissier et Bernard Marcelis, Réfléchir le monde, dir. par, Ambassade de France en Belgique/Monografik, Bruxelles/Blou, 2009.

Œuvres de Kader Attia, Yto Barrada, Éric Baudelaire, Philippe Chancel, Claudine Doury, Ange Leccia, Claude Lévêque, Jean-Luc Moulène, Melik Ohanian, Sophie Ristelhueber, Anri Sala, Lise Sarfati, Jean-Luc Vilmouth.

Réfléchir le monde
Le 13 juillet 2008, quand il s’agissait de mettre en forme cette préface, l’historien et député européen Bronislaw Geremek se tuait dans un accident de la route. Or cette disparition, ressentie comme une perte immense pour l’histoire et pour l’Europe, était celle d’un intellectuel et d’un homme politique absolument atypique. Juif polonais caché par une famille de paysans pendant la guerre, historien proche de l’école des Annales — pour qui précisément l’histoire ne se réduisait pas à une succession d’événements mais était traversée, au contraire, par tous les champs des sciences humaines —, conseiller du syndicat Solidarnosc, Geremek avait été le ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lech Walesa. Député européen enfin, il défendait constamment une idée prospectiviste et érudite de l’Europe et de sa mémoire. Tel travail d’historien et telle méthodologie, sans cesse réactivés dans un engagement politique d’honneur, posaient alors une question qui, pour de nombreuses œuvres d’art traitant de l’état du monde ou le documentant à l’instar de celles de l’exposition Réfléchir le monde, résonne comme une espèce de signe avant-coureur.

Quelle histoire de l’Histoire pour demain ?
Les arts plastiques et la photographie, en particulier, interviennent alors. Car cette question de l’histoire, et de l’histoire de ses représentations, irriguée par la complexité des signes contemporains, la photographie la connaît mieux que quiconque. Trace — elle est une inscription de lumière instantanée —, mémoire — par définition elle enregistre le temps —, histoire — car depuis ses origines elle témoigne des événements dont elle est synchrone —, trace, mémoire, histoire, la photographie accompagne le temps, « réfléchit le monde », et nous interroge de fait sur la vision qu’elle en donne.
Très vite, on le sait, la photographie a été assignée au réel, à une certaine véracité de la représentation qu’elle produirait par principe (ontologie du médium), si bien que sa force — entre crédibilité techno-scientiste et impact — allait faire rentrer l’histoire des images dans une autre dimension esthétique et politique. Image-document, documentaire en soi, manifeste idéologique, mais aussi illusion voire manipulation, l’image photographique, tout particulièrement dans le cadre du photojournalisme, mais aussi dans certaines écritures plastiques, poétiques ou technologiques figurant également l’histoire, a toujours fasciné, fait sens, inquiété ou mobilisé.

[…]

A. C.

L’ensemble de ce texte a été repris, dans une version sensiblement différente, dans l’essai Écrans de neige, photographies, textes, images (1992-2014), Éditions Filigranes, Hors collection, Trézélan, 2014, pp. 37-39.

<http://filigranes.com/main.php?act=livres&s=fiche&id=483&PHPSESSID=75149e250e31f500028d0c703d540c99>