Alexandre Castant

Tania Mouraud, Exhausted Laughters

Catalogue

« Notre présent – Le son dans l’œuvre vidéo de Tania Mouraud » in Tania Mouraud, Exhausted Laughters, avec des textes de Lóránd Hegyi, Martine Dancer, A. C., et un entretien de Tania Mouraud avec Ashok Adicéam, Éditions Nicolas Chaudun/Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne, 2014.

Dans le film Tania Mouraud, Par Si… Par La…, documentaire sur l’artiste réalisé en 2010 par Olivier Etcheverry, Tania Mouraud présente les musiques dont la découverte a initié, conduit ou irrigué son parcours artistique, esthétique, politique, et, pour cela, Tania Mouraud fait défiler à l’écran des pochettes de disques en les commentant. L’anthologie musicale qui en résulte est passionnante de précision, de variété expérimentale et de justesse pour quiconque voudrait approcher le monde sonore de cette artiste et de son œuvre. Les disques de John Coltrane (Olé) y précèdent ceux d’Oum Kalthoum et de Fairouz, ainsi que des disques de musique contemporaine (Varèse, Xenakis), concrète (Premier panorama), répétitive (Steve Reich, Terry Riley, Jon Gibson), puis ceux de la musique pop avec des albums de Bob Dylan ou des Rolling Stones, des Ramones ou de Patti Smith. La patine de leur écoute est manifeste – les couvertures des pochettes en témoignent ! –, et la passion avec laquelle l’artiste parle, des années après, de la découverte de ces disques est intacte. Ils éclairent formidablement son œuvre, non seulement les relations que celle-ci entretient avec la musique et le son, mais surtout ses structures profondes, sa poïétique. Et puis, dans une ellipse temporelle que rend possible le montage du film Tania Mouraud, Par Si… Par La…, l’artiste apparaît lors de sa performance sonore, industrielle et noise, produite au Musée Bourdelle en 2010, Bsaitn. Avec ce raccord spatio-temporel, c’est l’aventure sonore de l’artiste qui jaillit du film, se résume et se déploie, soudain, sur près de cinq décennies. En effet, dans le parcours artistique de Tania Mouraud, d’abord marqué par un cosmopolitisme qui, dès les années 1960, l’a ouverte aux avant-gardes artistiques internationales (groupe ZERO à Düsseldorf ; artistes américains des mouvements minimalistes et conceptuels…), projet constitué ensuite de périodes créatives où elle explore plus particulièrement un même médium (installation, photographie, film…), la création sonore porte une dynamique artistique, constante dans son œuvre, qu’elle expérimentera notamment avec ses vidéos de la fin des années 1990. Or son admiration pour la musique de Pierre Henry ou pour la musique carnatique de l’Inde du Sud, ses collaborations avec les musiques minimalistes de La Monte Young ou d’Éliane Radigue, sa passion pour la musique Klezmer de David Krakauer dont elle suivra une master class, ou pour l’expérimentation et l’improvisation noise qu’elle pratique au sein du groupe Unité de Production avant de produire, en solo, des performances électro-bruitistes, constituent une histoire singulière et subjective de l’avant-garde musicale et de la radicalité de l’écoute qui traversent son œuvre. Tel parcours sonore, qui est aussi autobiographique, est celui d’une artiste autodidacte insatiablement curieuse des pratiques musicales en marge qui, de fait, vont entre-nourrir son œuvre en nous donnant à penser autrement l’image, le visible et la visualité.

Extrait du texte de A. C.

L’ensemble de ce texte a été repris, dans une version sensiblement différente, dans Journal audiobiographique – Radiophonie, arts, cinéma, Nouvelles Éditions Scala, Paris, 2016, 208p.
<http://www.editions-scala.fr/livre/journal-audiobiographique/>